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"La Maîson", un lieu de vie pour une compagnie
Un regard éclairé sur la compagnie et sur son lieu par Raphaël CAILLENS, artiste et paysagiste :
Depuis mon jour d'arrivée et la première exploration, quatre jours se sont produits.
13H30 dans la cuisine, après un dernier repas, on s'attaque aux tâches ménagères. On quitte le lieu tout à l'heure, après une nouvelle interview qu'Estelle, Sacha et Vincent sont partis faire non loin. Il reste Fred, les chiens, le chat, avec moi dans le presbytère. J'entreprends d'effacer en cuisine la trace de notre déjeuner : dans la porcelaine du grand évier, la pile d'assiettes et les couverts éparpillés sous le bec pivotant du robinet à long cou. J'ai l'éponge en main, j'aime bien, donner à la vaisselle petit lustre, faire à la graisse accrochée son sort.
Fred entre un saladier plein de haricots à la main :
« C'est pas grand chose mais ça fait quand même une
petite production ! »
Dix minutes plus tôt avec lui, j'étais au jardin aussi pour dégotter sous les feuilles, les gousses cachées sous les feuilles, on dirait presque « camouflées » pour échapper à la cueillette. Je note à voix haute ce cache-cache, Fred acquiesce « C'est vrai, il faut se faire l'œil »
En deux phrases, il a tout dit de cette première semaine ici : « C'est vrai, il faut se faire l'œil » et « C'est pas grand-chose mais ça fait quand même une petite production ». Deux phrases de sagesse jardinière que j'ajoute à mon panier d'impressions recueillies, de sensations glanées.
La vue de ces haricots s'est manifestée à Fred alors qu'il allait vider le seau dédié à stocker en cuisine les pelures non utilisées, les morceaux de fruits abîmés, les trognons, les immangeables, les reliquats. Il est passé dans ce seau les queues des belles tomates
offertes par le Louis de Vicherey aux premiers jours les épluchures de poires nombreuses, offertes après par le Guy de Beuvezin. C'est pas grand-chose, toutes
ces choses, mais ça donne au fur et à mesure, de quoi se nourrir tous les jours !
À Nancy aussi mes amis, ont la chance d'avoir un jardin, que je verrai plus tard ce soir. Un jardin en pleine ville, un jardin inestimable pour être et produire au grand air, tout en vivant en urbains. La décision de déménager le siège de la Compagnie d'un hangar de Nancy à la campagne de Vicherey a été la maturation d'un désir de faire autrement, de produire différemment l'art, le quotidien, la nourriture, l'hospitalité, la relation au public, aux voisins, aux institutions, à soi-même, à son bien-être. Ils disent avoir ressenti, malgré leur base à Nancy, le sentiment d'une fatigue à aller jouer deux dates par-ci, trois soirs par-là, un coup au Nord, un coup au Sud, souvent en déplacement. Souvent en ne touchant plus terre.
Il y a eu une série de circonstances fortuites, douloureuses ou bénéfiques, qui a « conduit » la compagnie à rêver d'une autre vie, à la faire à Vicherey, dans le presbytère qui en quelques sortes, les attendait.
Comme si la vie avait co-écrit avec eux les premières étapes d'un nouveau mode de création, d'habiter, de
partager, d'être au monde, de produire.
Raphaël Caillens,
Vicherey, Mardi 29 août 2023
La Maîson, une Utopie avec le toît d'un accent circonflexe !
La Maîson c'est un lieu de compagnie dans le village de Vicherey. L'ancien presbytère, appelé communément par tous ici « La Cure ». Vicherey, petit bourg de 180 habitants à la limite des Vosges et de la Meurthe et Moselle.
C'est une Maîson avec une majuscule et accent circonflexe, comme un toît sur la tête, comme le M et le chapeau sur le a de Mâchoire 36.
Un toit sur la tête d'une compagnie, un lieu de création ouvert, un lieu de vie, un lieu de partage. Un lieu en prise avec le réel et ses habitants, ouvrant la voie à une création artistique plus sobre, plus durable, dans un rythme plus lent, tout simplement plus humain.
La Maîson, c'est un lieu pour se donner la possibilité de « changer de culture », de passer de la culture du «toujours plus » à celle du « toujours mieux » en remettant du sens et du lien au cœur de nos actions et nos projets. Ralentir la course folle. Poser l'ancre.
A l'heure du réchauffement climatique, à l'heure de la montée en puissance de repli sur soi, il nous paraissait essentiel de venir poser nos valises là où personne ne les pose pour créer du lien, créer un espace de partage, un espace de parole, un espace où l'on peut tout aussi bien créer, cuisiner ensemble, jardiner, faire du théâtre, faire du yoga, souder, construire, imaginer, participer à un chantier de rénovation, échanger nos légumes.
Toutes nos créations depuis la naissance de la compagnie ont dans leur sujet un lien étroit avec l’environnement et le vivant. Et dans notre façon de faire, nous avons toujours travaillé avec des acteurs locaux, mettant en œuvre toute notre ingéniosité pour recycler, réinventer, récupérer. Faire beaucoup avec peu.
On pourrait dire que La Mâchoire 36 est une compagnie d'écologie humaine ! C'est pour cela que nous voulions une Maîson de compagnie à la campagne, au milieu du vivant. Pourquoi regarder si l'herbe est plus verte ailleurs ? Il y a tout ici ! Et du côté de Vicherey, pays de prairie en Lorraine, l'herbe est d'ailleurs d'un vert magnifique !
Pendant des années nous avons caressé ce rêve (encore un accent circonflexe, un toit de maîson sur le mot) jusqu'à la rencontre inopinée avec ce lieu improbable, cet ancien presbytère à 50 km de Nancy qui cachait en son sein un ancien théâtre ancré dans la mémoire collective des anciens.
Il y avait tout : une maison, des chambres, un jardin, des espaces possibles de constructions, de répétition, de travail.
Nous avons su que c'était là et on s'est lancé. On savait qu’on l'avait enfin trouvé notre Maîson. Que c'était là qu'un toit en forme d'accent circonflexe nous attendait depuis toutes ces années !
Alors l'aventure a commencé : beaucoup d'huile de coude, pas mal d'imagination pour faire beaucoup avec peu, beaucoup de joie, des litres de peintures, des centaines d'allers-retours à la déchetterie, des repas tous ensemble, des rires jusque tard le soir, des moments de doutes, des moments de désespoir quand on s'est senti très seuls avec notre projet... Et voilà…
Elle est là. Notre Maîson. Elle existe. Il reste encore à faire, mais de nombreux projets sont déjà lancés. Nous sommes bien intégrés au village, et pour beaucoup le lieu devient un espace de référence : « Ah ! C'est vous qui êtes à La Cure ! Mais c'est super ! Il paraît qu’il y a du théâtre ? il paraît que vous faites du yoga ? il paraît que vous faites des interviews, je pourrais venir ? »
Avec le temps, de nouveaux projets adviendront. Nous espérons pouvoir ouvrir les portes de notre lieu à des compagnies amies pour des temps de résidence. Il ne s'agit pas ici de nous lancer dans la diffusion et la programmation. Sinon ce serait retomber dans la course folle du faire faire faire. Slow time...
Nous sommes dans La Maîson pour avoir un espace de réflexion, un espace de partage et d'utopie. Un lieu pour rêver au monde de demain et se dire que tant que la parole et les espaces circuleront rien ne sera perdu.
Estelle CHARLES et Fred PARISON ; co-directeurs artistiques de La Mâchoire 36
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